1.
L’Ermite
L’érémitisme dans le courant
Johannique est celle de toujours dans le contexte de cette pensée
développée dans ce chapitre. Quant à l’érémitisme
traditionnel, les sources ne permettent pas de retrouver une origine
sociale ou juridique commune à tous les ermites : la vocation
de la solitude n’est pas liée à une condition déterminée. Ce
sont les récits ou les vitæ qui donnent des indications
précises et qui permettent de situer les ermites d’une extrémité
de l’échelle sociale (la haute noblesse) à l’autre (les
roturiers) dans le Moyen Age. On peut donc conclure, qu’en
tout temps l’érémitisme fut, et est encore Johannite en tant que
«courant d´Amour ».
Si leur origine diffère,
leur éducation doit atteindre presque le même niveau, ayant tous
une formation spirituelle et religieuse, à savoir :
I. BASE SCRIPTURAIRE: les
textes sacrés de l’Ancien et du Nouveau Testament approfondis
grâce aux découvertes dans le temps. Aussi l’étude des livres
apocryphes de l’Ancien et le Nouveau Testament, etc.
II. TRADITION: la
Patristique, autant de l’Eglise que du Désert.
III. DEVELOPPEMENT
SCIENTIFIQUE: la
métaphysique.
IV. SCIENCE DU SYMBOLE ET SCIENCE-DOCTRINE DES
ATTRIBUTS DIVINS: pensée philosophique et
religieuse apparentée aux REAUX du 12ème siècles; théologie
dogmatique « De Verbo incarnato » ; Théologie
morale : « De Resurrectione Christi » ;
Théologie spirituelle : « De Adventu Spiritus Sancti
Paracliti ».
V. MYSTIQUE DE SAINT-JEAN:
revalorisation des sept Ordinations au Sacerdoce, dans
le cadre du Sacerdoce Transcendant, et développement des Charismes
correspondants.
VI. LITURGIE: Laus
perennis: chant des 150 Psaume par semaine. Saint-Sacrifice
quotidien de la Messe selon Saint Pie V et le Rituel du 12ème
siècle. Le chant grégorien et par conséquent le latin. La vie
sacramentelle.
VII. ASCESE: corporelle,
mentale et verbale soit la parole juste au bon moment. Il s’agit de
la maîtrise de soi et pureté d’intention.
Rien ne doit interdire cette éducation,
dont on se fait un idéal.
2.
Le retrait dans la solitude :
le sens d’eremum.
L’ermite se retire dans la
solitude après avoir vécu une vie communautaire suffisante dans le
courant Johannique. Il s’installe dans un eremum
ou un heremitagium[1].
L’érémitisme peut être qu’une période dans la vie de
quelqu’un, ou une phase définitive de l’évolution spirituelle.
Il va sans dire que dans le passé, des ermites ont suscité
l’expansion vers le cénobitisme et même la formation d’Ordres
ou Communautés nouvelles.
3.
La solitude : le site et la
cabane
La solitude que recherchent les ermites
doit être interprétée en deux sens : elle est solitude
intérieure ou extérieure, quoique les sources ne fassent
normalement pas la distinction. La maison, la cella ou cellula que se
construit l’ermite est toute simple ; elle varie de cabane de
branchages recouverte d’un chaume même léger, à une simple
chambre de mansarde, petite maison campagnarde ou appartement en
ville. Le plus souvent l’ermite recherche le lien avec la nature.
Bien souvent des ermites se sont installés dans des rochers ou des
ruines, ou bien ils restaurent une chapelle vétuste et délabrée.
4.
La vie dans la solitude
(a)
Les bases scripturaires.
Pourquoi et
comment tel ou tel clerc ou laïc se retire-t-il dans ce locus
horroris et vastæ solitudinis ? L’influence de la Bible
est manifeste. Plusieurs vitae ou récits de fondation érémitique
citent les saintes Ecritures, et si parfois les extraits sont
différents, ils insistent sur les mêmes valeurs et sur les
conditions nécessaires à la vie éternelle : quitter sa
famille, vendre ses propriétés et donner tout aux pauvres. Mais ce
n’est pas seulement la Parole du Christ qui incite les viri Dei
à mener cette vie étrange et sévère. C’est aussi l’exemple
de figures bibliques ou de saints et surtout l’exemple de saint
Jean Baptiste, qui passe pour le prototype de l’ermite. Fondateurs
de la vie érémitique furent aux temps bibliques de l’Ancien
Testament, Élie et Élisée, et les saints Paul et Antoine pour
l’ère chrétienne. L ‘exemple de Marie Madeleine sera lui
aussi repris régulièrement dans les différents types de sources :
pleurant aux pieds du Seigneur. Les précurseurs du désert, Paul et
Antoine, n’apparaissent à peu près que dans les traités.
(b)
La vie spirituelle.
Établir
une distinction très nette entre vie spirituelle et vie matérielle
n’est pas chose facile, car la vie spirituelle conditionne
profondément l’autre et vice versa . La solitude n’est pas
un but en soi, mais doit amener l’ermite à tout abandonner pour
suivre le Christ, afin de trouver son bonheur ici-bas d’une immense
paix intérieure et gagner la vie éternelle, afin «d’être
remboursé cent fois » (Matth. 19 :29) ou « d’avoir
un trésor dans le ciel » (Marc 10 :21). La solitude
aidera l’ermite à prier sans cesse, de jour et de nuit, et à
parvenir à la contemplation pure. De fait, « contempler »
sera rendu dans la plupart des textes par vigilare, « être
éveillé jour et nuit » ; et, c’est ce qui rend la
vie de l’ermite tellement dure.
Sur le
chemin de la contemplation, les pleurs, le lugere des
textes érémitiques et cénobitiques, accompagnent la prière
ininterrompue. (Voir plus loin « Le Grand Œuvre
Liturgique.) La récitation des Psaumes est certainement toujours
et partout en vogue, mais c’est sur ce niveau intellectuel qui
détermine largement la richesse de la prière. Les ermites illettrés
du passé, et les frères convers, usaient les plus simples prières,
que connaissent encore aujourd’hui la plupart des fidèles, le
Pater et l´Ave Maria, etc.
Le sommeil
et le diable (le combat intime du soi) – l’antiquus
inimicus ou le mali artifex sont combattus,
autrefois par une mortification sévère, telle que la
flagellation, ou les bains dans l’eau glaciale, jeûne extrêmement
rigoureux et habillement grossier, témoins d’un dénuement
complet. Au fait, que ce soit dans le passé ou à l’heure
actuelle, la mortification est pratiquement la même chez tous les
ermites, provenant d’un fond commun : la Bible. La faim et la
soif sont partout les premières citées, car elles sont les plus
difficiles à supporter, donc plus favorisées que la flagellation.
La flagellation pourrait devenir un vice, et n’est plus
pratiqué depuis le Concile Vatican II.
Il faut
observer le silence avec la même rigueur que le jeune afin de
parvenir à la quiétude, qui ne pose pas de grands problèmes
lorsqu’on vit seul. De toute façon lorsque le silence est menacé,
il faut nous en éloigner.
Si isolé
puisse être l’ermite, il ne peut se couper ni complètement ni
définitivement du monde, car la vie érémitique c’est aussi aider
son prochain : soins matériels, soins spirituels surtout. Aider
les pauvres et ceux dans le besoin est un précepte important !
Les pauvres d’esprit que sont les ermites ont attendu la parole du
Christ : Venite ad me omnes, qui laboratis et onerati estis,
et ego reficiam vos (Matth.11 : 28).
L’ermite est une figure centrale même s’il
habite très loin, même reclus dans une cellule qu’il ne quitte
presque plus. Dans son entourage et plus loin, l’ermite doit être
considéré comme un homme de Dieu riche en expérience spirituelle
et bon conseilleur. Encore une chose, la densité de la spiritualité
de l’ermite détermine son aspect physique, de plus en plus
rayonnant.
(c) La vie matérielle.
Plus
important pour l’évolution de l’érémitisme est le rôle
du travail manuel.
.
(c)
L’ermite et son entourage.
Il se peut
que l’ermite n’entre pas tout à fait seul dans son désert :
on est deux ou trois. Où, l’ermite débute seul, mais à cause du
résultat fatal du succès, voit venir les adeptes, dont l’évolution
vers la vie communautaire, qui n’a pas seulement changement
qualitatif mais d’abord et surtout changement quantitatif. Les
ermites seuls ou qui se groupent en petites compagnies dès le début
de leur expérience ; voient leur affluence augmenter : les
néophytes qui frappent à la porte ne sont plus tellement ces hommes
fanatiques, bizarres, extravagants, mais plutôt des personnes
charmées par la vie austère des ermites, qu’ils veulent imiter.
(d)
Les conséquences spirituelles.
Autrefois,
ni règle, ni observance bien précise n’a caractérisé la vie
dans la solitude. Les textes utilisent presque sans exception, et
seulement avec quelques variantes, l’expression heremiticam
vitam ducere. La vita heremitica n’est rien d’autre qu’une
attitude, une certaine façon de vivre, mais elle doit certes, être
conforme à la tradition, la «coutume transmise par les Pères ».
(e) Sous la
juridiction de l’Evêque du lieu.
L’ermite se trouve sous la juridiction de l’Evêque du lieu le plus proche de son site érémitique.
Pour ce fait, observons le « Codex Iuris Canonici » (Code de Droit Canonique) actuel depuis Vatican II de l’Eglise de Rome :
Can. 603 (149)
§ 1. Outre les instituts de vie consacrée, l’Eglise reconnaît
la vie érémitique ou anachorétique, par laquelle des fidèles
vouent leur vie a la louange de Dieu et au salut du monde dans un
retrait plus strict du monde, dans le silence de la solitude, dans la
prière assidue et la pénitence.§ 2. L'ermite est reconnu par le droit comme dédie à Dieu dans la vie consacrée, s'il fait profession publique des trois conseils évangéliques scellés par un vœu ou par un autre lien sacre entre les mains de l’Evêque diocésain, et s'il garde, sous la conduite de ce dernier, son propre programme de vie.
Citation importante de ce même « Code
de Droit Canonique » pour prêtres et évêques :
Can. 904 (150)
Que
les prêtres célèbrent fréquemment, ayant toujours présent à
l’esprit le fait que l’œuvre de la rédemption se réalise
continuellement dans le mystère du Sacrifice eucharistique ;
bien plus, leur est vivement recommandée la célébration
quotidienne qui est vraiment, même s’il ne peut avoir la présence
de fidèles, action du Christ et de l’Eglise, dans la réalisation
de laquelle les prêtres accomplissent leur principale fonction.(151)
« Rien n’est
meilleur, rien n’est plus doux que de scruter le divin trésor dans
le silence. Mais prêcher, reprendre, corriger, édifier, s´inquiéter
de chacun, quelle charge et quel labeur ! Qui ne fuirait
pareille tâche ? » (Saint Augustin)
(148)Le sens de ces deux mots restant imprécis. Ainsi erenum est
souvent employé dans le sens de « couvent », de
« monastère », et ne suppose donc pas une vie
solitaire. C’est ce qu’on apprend aisément en lisant le Sermo
ad fratres in eremo, traité pseudo-augustin du XIIIème siècle.
L’interprétation de heremitagium est encore plus
difficile, notamment dans les sources anglaises
(149) Livre II – Le peuple de Dieu.
(150) Livre IV – La fonction de sanctification de l’Eglise.
(151) La célébration du Sacrifice de la Messe « sine populo »
du prêtre-ermite est « une cause juste et raisonnable ».
Canon 906 : Le prêtre ne célébrera pas le Sacrifice
eucharistique sans la participation d’un fidèle au moins,
sauf pour une cause juste et raisonnable.
source : Editions Eucharistie et Dévotion, Gand-2000
source : Editions Eucharistie et Dévotion, Gand-2000